ACTA, encore une petite louche

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Pour rappel, j’ai déjà publié une série d’articles dont le noyau central se trouve ici, mais une vidéo toute récente produite par plusieurs blogueurs me pousse à reprendre la plume pour parler encore une fois d’ACTA (et toujours pas d’open data, mais ça ne saurait tarder…). Alors oui, ACTA est un mauvais texte, mais ce n’est pas une raison pour lui faire dire tout et n’importe quoi.

La « loi ACTA » ? Non, le traité. Et ça change tout…
Beaucoup de personnes parlent d’ACTA comme étant une loi, alors qu’il s’agit d’un traité. Aucune différence ? Pas sûr.

Pour bien saisir la différence, il faut commencer par comprendre que « le droit » est composé de plusieurs branches différentes, avec plusieurs sources, et que toutes n’ont pas le même rôle. Tout au sommet de cet édifice, et bien qu’on puisse parfois lire le contraire chez quelques commentateurs peu rigoureux, on trouve la Constitution. Elle accorde certaines libertés (qui peuvent être contenues dans d’autres textes formant le « bloc de constitutionnalité », comme le Préambule ou la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen : c’est le cas notamment de la liberté d’expression), et explique quels textes jouent un rôle dans la vie juridique du pays.

Sans trop rentrer dans le détail, un traité est un accord négocié auquel des Etats vont consentir. On notera qu’un traité, contrairement à une loi, n’est pas obligatoirement négocié par des représentants élus. C’est le cas d’ACTA, mais c’est aussi le cas d’une multitude d’autres traités qui passent totalement inaperçus en temps normal. En principe, on fait appel aux personnes qui seront concernées par le traité pour mieux définir les besoins, ce qui fait qu' »aucun élu du peuple n’est impliqué dans [leur] conception »… Contrairement à une loi.

Un traité est signé par plusieurs pays, mais même s’il entre dans l’ordre juridique « directement » (après quelques étapes qui relèvent plus de la procédure formelle), il va devoir s’adapter aux particularités de chaque Etat signataire. Et pour ce faire, ce sont des règles de droit international qui vont s’appliquer : il est notamment possible d’écarter une mesure si elle est contraire à notre ordre public, ce qui serait le cas en France par exemple pour les dommages et intérêts punitifs, ou au droit au procès équitable, mais nous y reviendrons.

En plus de ce processus de lissage commun à tous les traités, ACTA présente une particularité : par son contenu, il relève plus de la directive que du traité, en laissant à chaque fois des marges de manœuvres aux Etats signataires sur la manière d’appliquer ses articles. Ce qui veut dire que pour être applicable en France, il devra être transcrit en lois, et ces lois devront suivre le cheminement habituel de toute loi : faire la navette entre l’Assemblée nationale et le Sénat, où nos fameux « représentants du peuple » sont bien présents et impliqués (sauf quand ils ne viennent pas aux sessions, ce qui est un autre problème…).

En résumé : ACTA est un traité et non une loi, ce qui veut dire qu’il est normal (ou en tout cas, pas exceptionnel) qu’il ait été élaboré sans consultation de nos représentants, mais qu’il n’aura aucun effet coercitif direct, puisqu’il devra donner naissance à des lois bien françaises.

Avec ACTA, plus de vidéo-tests, et la prison pour un MP3 ? Non, c’est déjà le cas. Ou pas, justement…
ACTA ne modifie pas le champ de la propriété intellectuelle. Il est déjà, à l’heure actuelle, interdit par la loi d’utiliser une image ou un son si vous n’en êtes pas l’auteur (ou si vous n’avez pas une autorisation expresse de l’auteur). C’est déjà de la contrefaçon, qui est punie de 3 ans d’emprisonnement et de 300 000€ d’amende. Notons qu’il s’agit là de la peine maximale qu’un juge puisse appliquer pour un acte de contrefaçon, et un juge étant une personne intelligente, il ne va pas appliquer le maximum pour une personne ayant téléchargé deux chansons, mais va plutôt réserver ce maximum pour une personne qui importe des sacs contrefaits ou des médicaments en quantité…

A l’heure actuelle, un ayant-droit peut donc faire supprimer « tout contenu présentant une infraction au droit d’auteur », et « pour son créateur, […] l’amende ou la prison ».

Et pourtant, aujourd’hui personne n’empêche de faire des vidéos (hormis quelques ayants-droit, et YouTube qui cherche à se protéger préventivement, quitte à supprimer du contenu qui n’est pas réellement en infraction, mais je ferai un article là-dessus).

Pourquoi ? Aux Etats-Unis, il y a le « fair use ». En France… il y a la gentillesse des ayants-droit, car il est encore discuté que le droit de citation puisse s’appliquer à des oeuvres graphiques, plastiques ou sonores (ou le tout combiné). Le débat, ô combien intéressant, dépasse largement un article sur ACTA, aussi se contentera-t-on de le mentionner.

Il y a cependant le droit de parodier, qu’on retrouve à l’article L221-5 4° du code de la propriété intellectuelle, mais qui est plus largement fondé sur la liberté d’expression, qui est un droit à valeur constitutionnel. Et étant à valeur constitutionnelle, on voit mal comment un traité pourrait revenir dessus. La parodie n’est pas la citation : le Joueur du Grenier grimé en « Enfant de Juron » parodie la vidéo promotionnelle de Skyrim, mais c’est autre chose de montrer un extrait d’un jeu vidéo (en passant et sur cette question, en prenant en compte l’énorme turn-over qui existe dans ce milieu, il est toujours bon de s’interroger sur le droit d’agir de la personne qui menace d’agir en justice…).

Ce terrain est assez flou pour les ayants-droit, qui préfèrent ne pas trop s’y aventurer (même s’ils ne lésinent pas sur les lettres de menace), et ACTA ne leur donne pas plus de pouvoirs, puisque le texte précise bien qu’il s’applique dans le respect des exceptions existantes dans chaque pays.

Un logo sur ma photo de vacances, et hop une amende ! Non, car la contrefaçon ne concerne pas toutes les reproductions.

Un logo est protégé par plusieurs droits.

Par le droit d’auteur, mais qui n’appartient qu’à la personne de l’auteur. Or le droit d’auteur est encadré : un auteur ne peut empêcher la reproduction de son oeuvre une fois celle-ci divulguée. Que l’auteur du logo de Coca vienne me demander des sous pour avoir mis une photo sur Facebook où on voit son logo, je lui renvoie la balle pour abus de droit.

Par le droit des marques (ou le droit des dessins et modèles avec un raisonnement proche) : seulement voilà, le droit des marques est un droit finalisé. Une marque sert à protéger le consommateur en lui fournissant une information sur l’origine d’un produit. Le droit des marques ne protège que cette finalité là : si un logo apparaît sur mes photos de vacances, personne ne doute de l’origine du produit… Une marque n’est pas un droit sur la représentation de l’image ou du nom dans l’absolu, même si certains juges se prennent un peu les pieds sur cette question en première instance. Ca ne veut pas dire qu’on puisse faire tout et n’importe quoi avec le logo d’autrui (cf les arrêts Greenpeace), mais dans un usage normal, il n’y a pas à s’inquiéter !

Les FAI, une nouvelle police privée ? Non, mais la question est plus complexe…
A aucun moment, ACTA ne revient sur le régime de responsabilité des fournisseurs d’accès à Internet. ACTA parle des fournisseurs de services, ce qui est différent. Il n’y a pas de définition précise, mais on estime en général que cela inclut les fournisseurs d’accès Internet, mais également les plateformes comme Wikipédia, Twitter ou Facebook.

Mais leur obligation n’est pas d’épier et de nous censurer préventivement. Ils ne risquent pas d’être mis en cause, à moins de ne pas supprimer un contenu manifestement contraire à un droit de propriété intellectuelle après avoir été correctement mis en demeure de le faire. Rien ne change pour eux dans ACTA. Visiblement, cette erreur vient d’une confusion dans l’esprit des gens entre ACTA et SOPA/PIPA (encore que, n’ayant pas lu le détail de ces textes, je ne puisse affirmer qu’ils reviennent effectivement sur la responsabilité des intermédiaires techniques). 

La seule obligation qu’ils ont d’après ACTA est de permettre d’identifier les personnes responsables de contrefaçon. Dans les faits, c’est déjà le cas actuellement, et ça se limite à donner les adresses IP des personnes ayant commis l’infraction afin de pouvoir les poursuivre en justice. Ce mode d’action est limité, car quiconque s’y connaît un minimum sait que l’adresse IP n’est pas une information fiable pour identifier une personne sur Internet.

Ce qui serait éventuellement dangereux, ce serait que la France (ou surtout les Etats-Unis, dans la mesure où la plupart des gros fournisseurs de services sont américains) aille plus loin en obligeant une identification autre que l’IP. Par exemple, imposer à Google d’identifier tous ses membres (ce qui serait techniquement impossible). Mais là, avec ou sans ACTA, c’est la même chose car il s’agit d’une dérive qui de toute façon ne trouve pas sa source dans le texte.

La justice aux mains des ayants-droit ? Non, car nous sommes dans un Etat de droit.

Et dans un Etat de droit tenu par des engagements internationaux et par sa Constitution, qui donne le droit à un procès équitable. Un procès équitable, ça veut dire un droit de se défendre et d’être entendu par un juge (et d’être condamné à hauteur de la gravité de l’infraction). Oui, ce sont les ayants-droit qui assignent, et pour cause, ce sont eux qui ont les droits qui sont violés…

ACTA parle seulement des « autorités », ce qui peut nous évoquer les autorités administratives indépendantes, comme HADOPI. Mais les services de police et les juges aussi sont des autorités. Là encore, le seul risque serait qu’ACTA soit transposé à la va-vite, mais il serait alors possible de remonter jusqu’à la CEDH en faisant valoir une violation du droit au procès équitable.

On devrait donc, quoiqu’il en soit, se retrouver devant un juge. Et un juge est un être humain doué de raison, capable de faire la part des choses sans appliquer bêtement n’importe quelle peine. Il est capable de faire la différence entre un acte de contrefaçon et une photo de vacances, il ne va pas envoyer en prison un YouTuber pour une vidéo de lolcat, et peut entendre des arguments relatifs à la liberté d’expression.

Quant au choix du mode de calcul du préjudice, il ne devrait pas se poser en France où le régime de la responsabilité civile impose de réparer le préjudice, tout le préjudice et rien que le préjudice. Aller au-delà serait contraire à notre ordre public.

Douanes, médicaments génériques et baladeurs : quels risques ? Bien moins qu’on ne le dit…

Rappelons qu’ACTA vise à limiter la contrefaçon dans son ensemble et ne se limite pas à lutter contre le téléchargement. J’ai déjà traité assez longuement la question des génériques (ici même) : un générique n’est pas une contrefaçon dans l’absolu.

Là où des problèmes peuvent survenir :

– Si un génériqueur décide d’utiliser un nom proche et un emballage proche de celui du princeps. Clairement, ce n’est pas une bonne idée, car il y a contrefaçon de marque, mais tout comme il y a contrefaçon si demain je lance ma gamme « SONNY » pour des consoles de jeux vidéo…

– Si un génériqueur produit un générique dans un pays où le princeps n’est pas protégé par brevet, le fait livrer dans un pays où il n’est pas protégé par brevet, mais le fait transiter par un pays où le princeps est protégé par un brevet et dans lequel on a instauré un contrôle des marchandises en transit ultra-répressif en se fondant sur une lecture biaisée d’ACTA (qui parle de la faculté de contrôler des marchandises en transit, mais sans préciser s’il y a remise en cause ou non des droits antérieurs). Le risque apparaît somme toute limité, et surtout se base sur une interprétation très extensive de la lettre d’ACTA. Je doute même que cette interprétation soit compatible avec les traités antérieurs, ce qui rendrait donc cette interprétation d’ACTA illicite d’après ACTA… Je ne sais pas si le raisonnement est clair, mais il est difficile de faire mieux, désolé ! On retiendra en résumé : non, ce n’est pas un problème, car soit ça ne change pas le régime des marchandises en transit, soit on se base sur ACTA en l’enfreignant pour justifier l’injustifiable.

Pour ce qui est des mp3, question qui passionne tant les foules… Les douanes ont pour mission de lutter contre les transferts illégaux entre pays, de personnes ou de marchandises. Même si vous êtes dans la légalité et que vous franchissez un poste de douane avec votre baladeur, comment voulez-vous que la douane contrôle la légalité de vos fichiers, sachant que sont légales les copies privées ou pour assurer l’interopérabilité, les fichiers achetés sur des plateformes de téléchargement, ceux que j’utilise de manière familiale, ceux qui sont libres de droit, ceux que j’ai avec l’accord de l’ayant-droit, etc ? A titre d’exemple personnel, j’ai un peu plus de 7 000 mp3 (légaux !) sur mon baladeur… Vous pensez qu’un douanier va passer des jours à vérifier, titre par titre, la validité de mes chansons ? Comment ? Au-delà même des problèmes légaux, de l’entrave au commerce, etc : comment voulez-vous qu’ils fassent ?

Idem avec l’argument : « on a le droit de détruire l’ordinateur avec lequel j’ai téléchargé ». En faisant abstraction de la question de la légalité de la chose, comment voulez-vous qu’on identifie un tel matériel ?

Le volet sur les douanes s’intéresse à d’autres types de contrefaçon. Et à ce niveau-là, sans ACTA, la douane a déjà le droit de saisir et détruire des marchandises contrefaisantes, et de mener à bien à peu près tout ce qu’elle veut pour les identifier. Pourtant, vous avez déjà été arrêté à la douane pour vérifier le contenu de votre disque dur ?

Bon, mais alors, ACTA, c’est bien ? Non, n’exagérons pas…
ACTA est loin d’être aussi dangereux et liberticide qu’on essaie de nous le faire croire. Cette indignation est tout à fait légitime : elle prouve que les gens s’investissent dans l’élaboration du système juridique qui les concerne, au lieu de simplement subir (on regrettera cependant que 95% ne cherchent pas à vraiment comprendre, et se contentent de réagir quand tel ou tel intervenant décide d’en parler -en toute bonne foi mais souvent en commettant beaucoup d’erreurs malheureusement).

A ce titre, la pétition qui tourne depuis quelques mois mais qui a été remise au gout du jour par un groupe de « YouTubers » en vogue (et autres vidéoastes du net, qui nous régalent de leurs productions ; et dont j’adore le travail, soit dit en passant !) est un indice clair du fonctionnement actuel des choses : « telle personne a dit qu’il était contre et qu’il fallait être contre ? J’ai signé ! (Et j’ai signé 5 fois d’ailleurs, en oubliant qu’une pétition n’a de sens que si on peut vérifier l’identité des signataires, car si on a 50% de doublons, on ruine la crédibilité de l’ensemble) ».

ACTA n’est pas le grand croquemitaine liberticide de l’Internet : c’est juste un mauvais texte, rédigé peut-être un peu rapidement (je vous renvoie à l’analyse article par article), qui va dans le mauvais sens selon moi. Le risque principal serait qu’il soit transposé n’importe comment en France ou aux Etats-Unis, ou qu’il soit suivi d’autres textes qui reprendraient pour de bon les craintes énoncées dans les vidéos. Et pour ça, ACTA doit être rejeté. Mais pour bien combattre son ennemi, encore faut-il le connaître.

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6 commentaires pour ACTA, encore une petite louche

  1. Ping : ACTA : le bilan ! | Blog d'un thésard sur l'opendata

  2. Psyhodelik dit :

    Merci pour cette petit louche supplémentaire. Comme je le disait, ca permet d’y voir plus claire avec tes explications. Merci beaucoup 🙂

  3. amyntor dit :

    Merci pour tout ça, j’essaye de lire petit à petit tout le traité mais ce n’est pas spécialement facile.
    C’est vraiment sympa d’avoir l’avis de quelqu’un qui est baigné dans ce milieu et qui s’est vraiment intéressé au texte.

  4. Ping : Actus législatives et juridiques 2012 S14 | La Mare du Gof

  5. Amandine dit :

    Bonjour !
    Je travaille actuellement sur un projet pour mon bac et je souhaite basé mon travail sur Acta et sur le débat qu’il a provoqué en partant d’un point de vu juridique. Est ce que je pourrai vous contacter pour avoir plus d’information sur certains articles, ou pourriez vous me donner des sources sures ? Trouver des avis objectifs sur internet est vraiment compliqué. C’est comme chercher une aiguille dans une botte de foin.

    Merci pour votre aide.
    Bonne journée.

    • Edile Max dit :

      Bonjour,

      Désolé de ne vous répondre que maintenant ! J’ai été très pris professionnellement, mais je reste à votre disposition pour toute question relative à ACTA, que ce soit par commentaire ou par e-mail, selon votre préférence.

      Trouver des articles objectifs sur ACTA est impossible, c’est d’ailleurs pour ça que j’avais décidé d’en faire moi-même. Il y a bien la Quadrature et OWNI qui tendent vers un maximum d’objectivité, mais ils ont un parti-pris très marqué.

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